Sopheap Pich est né en 1971 à Battambang (Cambodge). Il vit et travaille à Phnom Penh au Cambodge. L’Institut français du Cambodge est partenaire de l’invitation de l’artiste.

Sopheap Pich dans l’atelier du Cirva, 2023.
photo © Cirva / Bérangère Huguet

🧠 Œuvres réalisées ou mises au point au Cirva

Blue Vase, 2022
Amulet (Hevea Afzelia) n°1, 3, 2023
Amulet (Hevea Afzelia) n°2, 2023
Vase n°1—11, 2022
Vase interior n°1—9, 2022
Sculpture n°1—2, 2022–2023
Deer Skull n°1—2, 2023
Form n°1—8, 2022–2023
Bone, 2023

👁 Expositions des œuvres réalisées au Cirva

2022
« Souffles », Musée national du Cambodge, itinérance de l’exposition organisée au château Borély – musées des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, Phnom Penh, Cambodge, 10 juin–30 septembre {pièce exposée : Blue Vase, 2022}

2024
— After Rain: Diriyah Contemporary Art Biennale, Diriyah Biennale Foundation, Diriyah, Arabie Saoudite, 20 février–24 mai {pièce exposée : Amulet (Hevea Afzelia) n°2, 2023}

💬 Sopheap Pich, note d’intention pour le Cirva, 2022

« En 1975, alors que les Khmers rouges venaient de prendre le pouvoir au Cambodge, mon père me réveilla au milieu de la nuit pour me montrer une lampe qu’il avait réalisée. La guerre civile avait détruit les installations électriques du pays ; tout le monde savait donc fabriquer cette lampe, une simple boîte de conserve en étain remplie d’huile de coco et pourvue en son sommet d’une mèche de coton dont l’embout enflammé nous fournissait de la lumière. Nous avions disposé plusieurs de ces lampes dans la hutte ; elles étaient toutes relativement sales, et nous ne les touchions que pour les déplacer.
Cette lampe que me montrait mon père était composée d’une base en bambou d’environ dix centimètres de haut avec une boîte de conserve à l’intérieur. C’était un objet rudimentaire sans aucune prétention décorative.

Ma mère était à ses côtés lorsqu’il me demanda si je comprenais la raison pour laquelle il me réveillait pour me montrer cette lampe. Je lui répondis que je ne comprenais pas. D’une voix chuchotée, ferme et douce tout à la fois, il m’encouragea à y réfléchir davantage ; j’essayais, en vain. L’enfant âgé de quatre ans que j’étais identifiait qu’il s’agissait d’une lampe, rien de plus. Il me dit alors : “Je vais te confier quelque chose d’important, mais jamais tu ne dois en parler à quiconque. Peux-tu m’en faire la promesse ?”

Après qu’il fut persuadé que je tiendrai cette promesse, il s’attela à retirer la cannette de la base en bambou. Ce ne fut pas une tâche aisée, il ne parvînt à désolidariser les deux morceaux qu’après plusieurs torsions sur elle-même de la boîte en métal. Une fois retirée, je jetais sous les encouragements de mon père, un œil à l’intérieur, et découvrais un petit tas de fibres de coton gris. Il souleva le morceau de coton ; en dessous, quelque chose brillait. Il s’agissait de petits fragments et éclats de bijoux en or, comme des morceaux de bagues ou de colliers. C’était peu, mais je sentais que c’était précieux.
C’était la première fois que je voyais de l’or. Mon père me dit que si quelque chose leur arrivait, et que nous étions séparés sans que je ne parvienne à les retrouver, je devrais à tout prix me saisir de cette lampe et la garder près de moi. Personne ne devait savoir ce qu’elle renfermait. Mais la lampe pourrait être d’une grande aide au moment venu, quand la situation s’apaiserait, et parce qu’elle serait source de lumière, et parce qu’elle renfermerait les objets de valeur en notre possession. La lampe serait chaque jour mon ancre de survie. Par chance, jamais ce temps ne se présenta. »

💬 Sopheap Pich, à propos de l’œuvre : Amulet (Hevea Afzelia), 2023

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D’après un entretien vidéo avec Sopheap Pich, conduit par Bérangère Huguet, novembre 2023
 
Après un certain temps d’expérimentation avec le verre, c’est comme si l’image des graines de palissandre était venue à moi une nouvelle fois. J’avais déjà fait cette forme dans divers matériaux auparavant ; je voulais savoir si elles pouvaient être aussi réalistes que possible en verre.

Lorsque nous avons commencé à fabriquer les premières pièces, j’ai vu le potentiel qu’elles représentaient. Au fur et à mesure que nous en faisions d’autres, je me suis dit : « Et si nous essayions d’autres couleurs, d’autres textures ? » — ou simplement essayer d’atteindre un certain type de rendu. Nous étions tous et toutes enthousiastes au vu du résultats, donc nous avons fait un grand nombre de graines. Puis je me suis dit : « Et si je les assemblais ? ». Il y a cette forme particulière... un collier, une amulette, reliée à des croyances animistes en Asie du Sud-Est. C’est une sorte de talisman que l’on porte ou qui est placé dans les maisons comme symbole de protection, un porte-bonheur. En Thaïlande, j’ai vu des amulettes de ce genre fabriquées exclusivement à partir de graines de palissandre. Cette idée a germé dans mon esprit depuis ; c’était bien avant que je ne vienne au Cirva.

Au Cambodge, et en Asie du Sud-Est plus généralement, le palissandre est une espèce d’arbre très ancienne. Il faut attendre au moins cinquante ans, voire plus, avant qu’il ne soit puisse être récolté. Les bois anciens luxueux de ce type sont de grande valeur, et sont très demandé partout dans le monde. Au Cambodge, on pourrait dire qu’il y deux forces opposées dans la nature — celle des plantes domestiquées, comme l’hévéa et les palmiers à huile, et la nature sauvage, avec le palissandre, et d’autres essences de bois indigènes — qui s’affrontent depuis 40 ans, depuis la fin de la guerre civile. Pour diverses raisons, la forêt est décimée de ses palissandres, et une grande partie de ces terres sont converties en terre agricoles. Et l’une des cultures est l’hévéa.

Réunis dans ma sculpture, ces deux éléments forment une sorte d’idée circulaire, opposant la nature sauvage à la nature domestiquée ; deux notions de la nature dans une même œuvre.
 

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