Née en 1969 à Albertville, Delphine Coindet vit et travaille à Chambéry. Elle a travaillé au Cirva en 2014 et 2015.
Delphine Coindet dans l’atelier du Cirva, 2015. Photo : Cirva
Delphine Coindet, Prismes, 2015, vue de l’exposition « Une maison de verre – Le Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques », musée Cantini, Marseille, 2017. Photo : D. Giancatarina. Collection Cirva
Séjour de travail de Delphine Coindet au Cirva, 2014. Vidéo : C. Capelle / Cirva
— Prismes, 2014–2015 (plusieurs sculptures dont une collection Frac Pays-de-la-Loire et une collection Mudac, Lausanne)
— Chapeau melon, 2014–2015
2015
— « Modes & Usages de l’art », Centre d’art contemporain d’Ivry — le Crédac, Ivry-sur-Seine, France, 10 avril–28 juin
2015–2016
— « Ouverture pour inventaire », Frac des Pays de la Loire, Carquefou, France
2016
— « - 12 000 >> 2016 », musée Sainte-Croix, Poitiers, France, 18 juin–25 septembre
— « Prismes – Delphine Coindet », La Médiathèque, Mouans-Sartoux, France, juin–août
2017
— « Une maison de verre – Le Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques », musée Cantini, Marseille, France, 17 mars–24 septembre
2017–2018
— « Un choix de sculptures », Collégiale Saint-Martin, Angers, France, 16 septembre 2017–3 janvier 2018
2018
— « Verre en scène #3 », Mudac, Lausanne, Suisse, 12 juin–12 août
— « Biarritz 1918 & 2018 », espace muséal du Bellevue, Biarritz, France, 7 juillet–30 septembre
— Une maison de verre – Le Cirva, Parenthèses / Musées de Marseille, 2017
ISBN : 978-2-86364-317-4
— Biarritz 1918 & 2018, édition du service des Affaires culturelles de la ville de Biarritz, 2018
La grande pyramide multicolore imaginée par Delphine Coindet au Cirva est composée de quarante-deux modules quasi identiques mais chaque fois différents dans leurs légères imperfections. Delphine Coindet reprend ici les codes de la sculpture minimaliste tout en introduisant des couleurs criardes et bariolées, rappelant certains verres de Murano des années 1970. Elle confronte ainsi les genres et les esthétiques avec théâtralité. Questionnant souvent les limites entre art et design, entre œuvre et objet, Delphine Coindet cherche à voir ce qui se passe derrière la sculpture, comme dans les coulisses d’un théâtre. Pour cela elle adopte des partis pris bien souvent illusionnistes à la façon d’un décor que le visiteur peut traverser et expérimenter.
Un entretien proposé par le Cirva, conduit par Isabelle Reiher, février 2015
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Isabelle Reiher [IR]
On retrouve presque toujours dans ton travail une forme de théâtralité qui se manifeste par un goût pour le décor, l’exagération des formes, une sorte d’ultra réalisme qui provoque un sentiment de fiction et d’artifice. Est-ce que ces considérations sont encore importantes dans ton travail et comment sont-elles susceptibles d’évoluer ?
Delphine Coindet [DC]
La scène de théâtre peut s’envisager comme une cosmogonie du monde vu à travers des strates verticales, soit plusieurs plans qui se succèdent les uns derrière les autres, des protagonistes aux coulisses. Cependant, autant le théâtre impose une distance physique, autant l’espace de la sculpture permet de saisir ces strates sous toutes leurs facettes. De voir littéralement ce qui se passe derrière. Ces notions s’expriment dans mon travail par le biais de diverses stratégies d’exposition conçues comme des mises en scène ouvertes, de collages, de juxtapositions de matériaux et de techniques hétérogènes.
Il semblerait que les motifs ou détails du décor sont toujours les indices de notre réalité environnante et qu’ils nous informent sur ces composantes intrinsèques mêmes.
Ainsi, j’essaie de démontrer l’artificialité de toute tentative de toute représentation en voulant rendre toujours plus tangible la puissance illusionniste qu’elle implique.
[IR]
Lors d’une conversation, tu m’as dit un jour que les problématiques du design t’intéressaient de plus en plus et que tu intégrais une forme de dialectique art/design ou art/objet dans ton travail. Est-ce que tu pourrais approfondir cette question qui paraît d’autant plus importante dans le travail que tu mènes au Cirva ?
[DC]
Si le projet moderniste d’émancipation de l’individu grâce à l’art semble avoir échoué entre les mains d’Ikea d’une part, et des foires de l’art de l’autre, je continue de croire au pouvoir transitionnel des objets et à leur portée émotionnelle, transgressive et symbolique. Je crois aussi que l’adéquation entre le processus de fabrication et sa forme aboutie est pour beaucoup dans la pertinence et la singularité d’un objet.
En ceci l’art peut se distinguer du design qui, en règle générale et même si cette discipline est en train d’évoluer vers d’autres alternatives, est censé adhérer aux contraintes d’une production industrielle à des coûts de fabrication modérés.
Mais si le design m’intéresse c’est moins pour sa capacité de production et de diffusion à grande échelle que pour cette fonction symbolique des objets qu’il étudie et l’endroit de l’espace domestique qu’il occupe. Car bien plus que l’espace d’exposition, c’est l’espace domestique qui façonne nos vies, parce depuis l’invention de l’imprimerie, cet espace (soi-disant) privé est plus que jamais poreux au monde qui nous entoure. Comme l’augurent les célèbres collages de Richard Hamilton en 1956 : « Just what is it that makes today's homes so different, so appealing? »...
Nos intérieurs ne sont-ils pas totalement les reflets, pour ne pas dire les produits, de notre monde global ?
Pour moi, depuis le pop art et l’architecture radicale, mouvements auxquels je me suis souvent référée, c’est une suite logique donc, le design, l’architecture font partie de mon travail depuis que je m’intéresse de près à l’art.
Par ailleurs, réfléchir en terme de design c’est se confronter franchement aux problématiques du marché, aux questions de diffusion, de marketing, comme à une (é)preuve de réalité incontournable.
Je peux peut-être préciser que mon intrusion dans le monde du design avec Vladimir Boson et Le Pecker Molleton Set par exemple, reste très confidentielle et surtout très artisanale, c’est-à-dire produite avec une forte exigence sur la qualité des matériaux et la maîtrise du savoir-faire manuel...
Cette nouvelle production avec le Cirva m’a donc donné envie de travailler sur un ensemble d’objets manifestant une ambivalence décisive entre objet d’art et objets d’usages. Miroirs, vases, chapeaux, porte-manteaux sont avant tout supports de représentations. À noter que le chapeau melon est une référence explicite à Magritte et aux films de Hans Richter bien sûr... Et à Dupont et Dupont également.
J’ai voulu nommer l’exposition qui en résultera au Crédac « Modes & usages de l’art » pour justement revenir à la question de la fonction de l’art, en passant par le design peut-être, sachant qu’à travers cet intitulé, j’espère faire résonner aussi les « modes de l’art » de l’artisan sans qui une artiste ou designer telle que moi n’est rien !
[IR]
On dit souvent que tu as volontiers recours aux techniques de modélisation 3D dans l’élaboration de tes projets. Est-ce que cela est toujours valable dans ton travail aujourd’hui et est-ce que ces techniques ont pu te servir pour le travail réalisé au Cirva et pour le Crédac ?
[DC]
Oui je me sers toujours de ces logiciels pour concevoir, visualiser la plupart de mes projets mais dans le cas de la collaboration avec le Cirva, il n’y a eu que des dessins préparatoires sur des carnets de croquis. Je ne voulais pas faire exécuter une forme préconçue mais travailler directement « sur le vif », avec la réalité de l’atelier et des visions de couleurs en transparence que je portais avec moi. D’ailleurs le moule que nous avons utilisé dès le début faisait partie du matériel inexploité de l’atelier. Belle coïncidence, il ressemblait aux formes de mes dessins préparatoires, des espèces de clepsydres prismatiques.
[IR]
Dans le cadre de ton travail au Cirva et pour le Crédac, tu as souhaité simplifier au maximum la forme. Pourrais-tu nous dire pourquoi et au profit de quoi tu as fait ce choix ?
[DC]
Comme je l’ai dit juste avant, j’ai moins pensé à la forme elle-même qu’à ses conditions matérielles de production.
Comme je n’en avais jamais fait l’expérience auparavant, l’absolu du travail du verre était basé pour moi sur le souffle, la couleur et la transparence.
Il me suffisait de trouver un prétexte comme ce moule pour explorer cette articulation. Plus tard est venue l’idée des chapeaux melons comme un contrepoint aux objets modulaires, moulés, colorés et surnuméraires, il fallait quelques exemplaires de ces objets modelés avec virtuosité par les souffleurs, noirs, figuratifs et indubitablement vidés de leur fonction d’usage mais ô combien emblématiques.
[IR]
Concernant l’installation composée de multiples polyèdres de verre identiques, peut-il y avoir une autonomie de l’objet unique, y a-t-il autant de variations possibles que d’éléments, ou penses-tu à un protocole très formel et précis qui accompagne la présentation ?
[DC]
Si l’on considère, comme il m’amuse de le faire, ces modules comme une population, puisqu’ils sont tous différents tout en étant issus du même moule, alors il y aurait naturellement des groupes, des associations, des couples, des familles... Et des individus solitaires...
Le moment du montage au Crédac sera décisif pour rendre visibles ces ensembles de différentes échelles. J’ai pensé faire réaliser des plateaux de formats divers qui serviront à les disposer, superposer et les répartir dans l’espace afin de nous donner la possibilité de glisser, dans l’idéal, du format domestique à celui architectural.
[IR]
Est-ce que le fait d’être invitée au Cirva pour préparer une exposition prévue un an et demi après au Crédac à Ivry-sur-Seine a été pour toi plutôt un élément facilitateur ou au contraire plutôt une contrainte et une complication pour penser le travail du verre ?
[DC]
Ça a été surtout une opportunité exceptionnelle pour l’enrichissement de ma pratique, à laquelle je n’aurais jamais songé si elle ne m’avait pas été si judicieusement et à point nommé proposée (pendant que je séjournais à Rome) !
[IR]
À l’issue de plus d’un an de travail en collaboration avec des artisans verriers, pourrais-tu nous dire si ce matériau apporte (ou pas) une dimension nouvelle dans ton travail ?
[DC]
Comme je le disais précédemment, ce fut un enrichissement pour moi en terme de connaissance des matériaux et de coopération avec les savoir-faire. Au sein de ma pratique, le verre s’ajoute désormais à un éventail des possibles que j’aimerais ne jamais voir cesser de s’élargir.