Né en 1972, Dove Allouche vit et travaille à Paris. Lauréat de notre appel à projet, il a travaillé au Cirva en 2015 et 2016.

Dove Allouche dans l’atelier du Cirva, 2016.
Photo © C. Capelle / Cirva
Dove Allouche, Penicillium glandicola CNCS6 MA #20, ensemble Fungi, 2015–2016, production / réalisation Cirva, collection Cirva, inv. 2017.1.6.
© Dove Allouche, photo © André Morin
🎥 [En résidence : Dove Allouche]
Soufflage d’une cive, avec Fernando Torre, David Veis et Raphael Veloso, 2016.
Vidéo © Cirva / Cécile Capelle
Ensemble Fungi (série de 53 pièces), 2015—2016, dont :
*- Penicillium chrysogenum MYC 30 MA #22
- Phaeosphaeria juncophila R39 CZ #11
- Aspergillus wentii 5000 CZ #10
- Aspergillus penicillioides 5226 CZ #40
- Aspergillus nidulans (Emericella) MYC6 CZ #17
- Penicillium glandicola CNCS6 MA #20
- Penicillium chrysogenum MYC 30 CZ #4
- Aspergillus penicillioides 5226 MA #15*
2017
- « Dove Allouche – Le Beau Danger », Peter Freeman Gallery, New York, États-Unis
- « Une maison de verre – Le Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques », musée Cantini, Marseille, France
2018
- « Una fornace a Marsiglia. Cirva », Fondation Querini Stampalia, Venise, Italie
- « Dove Allouche – Des caractères extérieurs », gb agency, Paris, France
2019
- « Par hasard volet 2 », Friche de la Belle de Mai, Marseille, France
2019–2020
- « La Mesure du monde », Mrac, Sérignan, France
2022
- « L’Heure bleue », le Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, France, 5 mars–30 avril
Depuis 2023
- « 30 ans de collection – La collection et ses invités », [Mac] musée d’Art contemporain, Marseille, France, depuis le 7 avril
- Une maison de verre – Le Cirva, Parenthèses / Musées de Marseille, 2017.
ISBN : 978-2-86364-317-4 - Una fornace a Marsiglia. Cirva, Skira, 2018
ISBN : 978-88-572-3804-3
Grâce au soutien du CRCC (Centre de recherche sur la conservation des collections) et à l’aide de Malalanirina Sylvia Rakotonirainy (pôle biodétérioration et environnement), j’ai entrepris il y a deux ans un recensement exhaustif des principales familles de spores présentes dans les locaux de conservation des fonds et des collections patrimoniales. La présence de moisissures dans un environnement donné est l’une des principales causes de détérioration des collections.
Face à l’immense tâche d’inventorier toutes les variétés de micro-organismes en quantité dans l’air de nos musées et de leurs réserves, j’ai choisi de me recentrer sur les 45 familles de moisissure les plus fréquemment rencontrées sur les biens culturels. Pour chaque famille de champignon, une espèce précise a été développée dans une boîte de Pétri contenant un milieu de culture de Malt Agar ou de Czapek. La température était comprise entre 26 °C et 37 °C, et les périodes de culture s’échelonnaient entre 10 et 30 jours par espèce.
Ainsi les 45 espèces issues des 45 principales familles de spores présentes dans les collections ont été photographiées à un stade précis de leur développement et imprimées sur papier au format carré (45 × 45 cm).
Le projet du Cirva est né suite à la mise en relation entre deux gestes fondamentaux et deux phénomènes : en premier lieu, le geste du verrier soufflant à la canne qui est mis en regard de celui du micro biologiste ensemençant à la pipette. Ensuite, le rapprochement entre la formation naturelle circulaire d’un champignon et la réalisation par le verrier d’une cive de verre soufflée, large sphère obtenue grâce à l’effet rotatif et centrifuge du geste du souffleur.
Pour chacune des 45 images de spore sera réalisée une cive unique, colorée en écho à la valeur dominante du champignon. Les cives seront par la suite découpées au format carré pour pouvoir servir de « sous verre » aux champignons correspondants.
Un entretien proposé par le Cirva, conduit par Isabelle Reiher, novembre 2016
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Isabelle Reiher [IR]
Avant d’aborder les questions relatives à ton approche du matériau verre, je souhaiterais revenir plus généralement sur ta pratique du dessin et de la photographie. J’ai l’impression que ton travail ne se situe jamais complètement dans l’un ou l’autre mais que tu t’intéresses plutôt aux conditions d’apparition des images grâce à ces techniques. Pourrais-tu nous donner des clés de compréhension pour aborder ton approche singulière du dessin et de la photographie ? Est-ce que la technique (celle de la photographie par exemple) t’intéresse ou t’attaches-tu plutôt à expérimenter sur les réactions du matériau ?
Dove Allouche [DA]
Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne me suis jamais intéressé à la technique en tant que telle. Rien n’est plus loin de moi que l’idée de trouver par la technique le fondement d’un nouveau projet. Quand je commence à travailler sur un nouveau projet, je ne sais réellement pas où ça va aller ni à quoi ça aboutira. Je ne le découvre que dans le mouvement même par lequel je travaille.
Lorsque Hippolyte Bayard expérimente ses dessins photogéniques en 1840, se posait-il d’abord la question du choix de la pratique ? Ou bien s’obstinait-il, à travers son Autoportrait en noyé, à réaliser une fiction afin d’interpeller l’Académie et le roi qui refusaient de le soutenir ?
Bien entendu, nous ne pouvons pas saisir une œuvre « en soi », isolée de son contexte et de son rapport au médium. C’est le fameux « cercle corrélationnel » entre le sujet et l’objet dont parle Meillassoux.
[IR]
Tu produis souvent des images proches du photographique mais sans prises de vue. Est-ce la matière qui prime dans ces cas ou l’image représentée ?
[DA]
Le médium n’a de sens que dans sa relation mutuelle avec le sujet avec lequel il forme une coprésence, qui est la formule chimique de l’œuvre.
Pour aller plus loin dans cette idée de corrélation qui est la substance même de mon travail, je prendrai deux exemples en restant dans le domaine du photographique et du dessin :
— Les Déversoirs d’orages qui représentent des vues, prises à l’aveugle, du réseau égoutier de la ville de Paris, sont avant tout une représentation du refoulé collectif. C’est-à-dire la répression inconsciente d’un souvenir dont personne ne souhaite se libérer. Ce n’est pas étonnant que les égouts soient d’une part plongés dans le noir, et d’autre part sous très haute surveillance. Le choix de l’héliogravure comme technique d’impression noble et contemporaine à la création du réseau, a été fait pour magnifier l’odeur nauséabonde de ce souvenir.
— Les dessins Ascension au bas de la planche gauche et droite célèbrent quasi religieusement un double accident, une chute vers le haut ! Ils ont été réalisés à partir d’une image d’archive datant de la Première Guerre mondiale représentant l’explosion d’un Zeppelin. Alors que les dessins semblent provenir du même mélange gazeux qui émane du ballon dirigeable, le titre, lui, fait référence à une phrase de Daguerre au sujet des premiers physautotypes réalisés par Niepce. La remontée par capillarité de l’émulsion de lavande produisait des taches disgracieuses sur les plaques d’argent. C’est l’une des raisons pour lesquelles les deux hommes ont décidé de renoncer à cette découverte.
[IR]
L’ambiguïté entre visible et non visible, la fascination pour ce qui est caché, uniquement révélé, semble prégnante dans tes œuvres. Accordes-tu une importance à la notion de mémoire ou de réminiscence ?
[DA]
Mon travail consiste essentiellement à entreprendre une tâche grâce à laquelle et au bout de laquelle je pourrai, pour moi-même, trouver quelque chose que je n’avais pas d’abord vue. Je n’essaie pas de faire apparaître des choses absolument enfouies, oubliées depuis des siècles ou des millénaires, ni de retrouver derrière ce qui fut caché par d’autres, le secret qu’elles ont voulu cacher. Je n’essaie pas de découvrir un autre sens qui serait dissimulé dans les choses ou les discours. Non, j’essaie simplement de faire apparaître ce qui est très immédiatement présent et en même temps invisible. Mon approche est celle d’un presbyte !
Je voudrais faire apparaître ce qui est trop proche de notre regard pour que nous puissions le voir, ce qui est là tout près de nous, mais à travers quoi nous regardons pour voir autre chose. Saisir « l’invisible du trop visible » dirait Foucault.
[IR]
Tes projets artistiques prennent souvent source dans le réel ou la manifestation d’un phénomène naturel. Quelle pourrait être la part de la fiction dans ton travail ? Comment te projettes-tu dans l’inconnu ?
[DA]
On me questionne souvent sur les liens que j’entretiendrais aux phénomènes naturels et à leurs modes de transposition dans mon propre travail.
Il m’est toujours très difficile de tenir par la pensée l’écart entre ce qui serait de l’ordre de « l’événement naturel » et de la « fiction ». Certes, nous pourrions parler de lois fondamentales qui régissent l’ordre des choses (bien que nous le ferions fort mal et sans la légitimité du scientifique), ainsi que des formes que je produis en écho à ces lois, mais cela ne nous avancerait pas plus... Il y a toujours un infime décalage entre l’événement et le moment de la création. Précisément l’événement (comme sujet) est antérieur à l’avènement d’une œuvre et de notre conscience. C’est peut-être dans cette mince pellicule qui sépare une réalité donnée et l’émergence de l’œuvre comme forme humaine de rapport au monde, que se tient la part de fiction. « Le monde n’a son sens de monde que parce qu’il m’apparaît comme monde. » (Ph. Huneman, E. Kulich)
[IR]
Lors d’une conversation que nous avons eue pendant la préparation de ton exposition pour la Fondation Ricard en 2016, tu as mentionné un jour que « le verre est un domaine de définition », le contexte étant ton travail fait à partir de matériaux qui n’ont jamais vu la lumière, ces « matières aveugles ». Pourrais-tu mieux définir ce que tu entends par domaine de définition et nous dire si cette notion est pertinente dans ton travail pour le Cirva ?
[DA]
Avant d’en venir aux œuvres réalisées au sein du Cirva, je voudrais poursuivre sur cette idée de l’antériorité au sujet de la série photographique Les Pétrographies, qui me semble être le point de départ de mes dernières expériences.
Grâce à l’aide de Dominique Genty, chercheur en paléoclimatologie, je me suis mis à la recherche d’une stalagmite entière qui aurait, tout au long de sa croissance, enregistré une somme d’informations (atmosphériques, chimiques, humaines...) correspondant à l’âge de notre calendrier chrétien (soit environ 2 000 ans). C’est du côté de la grotte de Remouchamps en Belgique que j’ai fini par trouver ce que je cherchais : une concrétion de calcite mesurant moins d’un mètre et datant de -117 000 ans à sa base jusqu’à -115 000 ans à son sommet.
J’étais fasciné par la modestie de ce « gros caillou » silencieux sur lequel on pouvait voir quelques variations de teintes et de simples lignes symbolisant des quantités immenses.
Cet échantillon renvoyait à une réalité largement antérieure à l’apparition du très moderne homme de Cro-Magnon !
Je cherchais le moyen de produire des images à partir du matériau géologique lui-même, c’est-à-dire sans aucune prise de vue, faire de la photographie un carottage. L’échantillon a été découpé en plusieurs cadres rectangulaires continus allant dans le sens de la stratigraphie. Puis chaque morceau de calcite a été poncé très finement, lui permettant de pouvoir être traversé par la lumière et d’être utilisé directement comme négatif photographique. Ainsi, cette stalagmite qui était restée dans l’obscurité de sa grotte durant plusieurs milliers d’années, découvrait la lumière pour la première fois en même temps qu’elle devenait la source des images produites.
Et bien que les Pétrographies semblent abstraites, elles n’en sont pas moins le résultat de mon investigation empirique de la nature, un ordre immanent dans l’épouvantable désordre actuel.
[IR]
Les questions d’état de conservation de la matière t’intéressent, notamment l’état de conservation des photographies anciennes, comme si la lecture de l’histoire passait aussi par une analyse physique de la matière. Dans le cadre de ta résidence au Cirva, la détérioration de supports papier à vocation patrimoniale était le point de départ du travail. Que signifie donc cet intérêt pour la conservation dans ta pratique ? Pourrais-tu nous décrire ton projet pour le Cirva, expliquer comment il a démarré ?
[DA]
À la suite de ce travail lié au matériau géologique, je voulais revenir vers le vivant, sur l’idée d’un surgissement ancestral et d’une espèce antérieure à l’homme. Ce qui nous conduit au projet qui a été mené au Cirva.
Grâce au soutien du centre de recherche sur la Conservation des collections et à l’aide de Malalanirina Sylvia Rakotonirainy (pôle biodétérioration et environnement), j’ai pu entreprendre durant plusieurs mois un recensement exhaustif des principales familles de spores présentes dans les locaux de conservation des fonds et des collections patrimoniales. La présence de moisissures dans un environnement donné est l’une des principales causes de détérioration des collections. Ainsi l’histoire et la pérennité des œuvres sont directement concernées par une cohabitation inévitable avec des microorganismes dont la survie dépend de leurs capacités à « ingérer » les œuvres.
Resserrant mon choix sur une cinquantaine de familles de moisissures les plus fréquemment rencontrées sur les biens culturels, j’ai procédé à leur mise en culture avant de les photographier à un stade précis de leur développement.
À mon arrivée au Cirva, j’avais bien quelque chose dans l’esprit mais sans savoir ce que je ferais avec le verre. Je savais que je prenais un risque car l’expérience était vraiment nouvelle. Je parcourais l’atelier comme une sorte de jardin désertique, une immense étendue inutilisable. À ce moment-là, l’expérience des verriers a été cruciale. Ils m’ont aidé à débloquer certains mécanismes dans lesquels je pouvais être et nous avons procédé aux premiers essais. Mon intuition était d’associer chacune des photographies de spore à un verre spécifique dont la forme, la taille et la couleur feraient écho à chaque champignon.
C’est dans ce sens que nous avons travaillé à réaliser des cives, des feuilles de verre de forme circulaire avec, en leur centre, une empreinte rappelant le point d’insémination de chaque spore, et dans leur matière, des stries concentriques qui évoquent aussi le développement naturel de chaque champignon.
À l’heure où je réponds à ces questions, les œuvres sont toujours en cours de production, mais le titre m’apparaît clairement pour la première fois, Le Beau Danger.
Texte écrit par le service des publics du Mrac dans le cadre de l’exposition « La Mesure du monde », 2019-2020, Mrac Occitanie, Sérignan, France
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Dove Allouche est influencé par les notions de temps et d’espace. Il expérimente divers procédés de reproduction. Mycota est la série réalisée au Cirva, Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques à Marseille, au cours de sa résidence entre 2015 et 2016. Ce travail sur le champignon est le fruit des recherches de l’artiste autour des sciences de la vie. Grâce au soutien du Centre de recherche sur la conservation des collections à Paris (CRCC), il s’est intéressé à la détérioration de supports papier à vocation patrimoniale. Il a mis en culture des moisissures avant de les photographier. Une cive de verre soufflée a été apposée aux images des champignons. L’artiste met en relation le geste du verrier soufflant à la canne et celui du microbiologiste ensemençant à la pipette. L’image et le verre soufflé posé sur la photographie se rapprochent du dessin, voire de la sculpture. Le point central entraîne un effet de loupe et de distorsion de l’image et crée un paysage, une géographie.